Nicolas Sarkozy a remporté la bataille des valeurs
S'il se retourne sur le chemin parcouru, M. Sarkozy ne trouvera que peu ou pas de place pour le hasard dans cette aventure très personnelle. Sa victoire résulte d'un âpre et méthodique combat dans lequel il aura profité de toutes les occasions. Au point qu'on pourrait croire que la politique est devenue une science exacte. "Un jour, je vous expliquerai", a-t-il lancé à quelques journalistes qui se sont trouvés sur son chemin, dimanche soir, à la sortie de la Salle Gaveau, à Paris.
Expliquer quoi ? Tout semble limpide dans son triomphe. Le candidat de l'UMP a su profiter, pour parvenir à ses fins, d'au moins trois facteurs : les erreurs politiques de ses adversaires, dont celles de Jacques Chirac, qui, de la dissolution de 1997 à sa décision de soumettre la Constitution européenne à référendum, aura offert deux formidables occasions à M. Sarkozy de se poser en recours ; la force militante et financière de l'UMP, raflée en novembre 2004, et la refondation du corpus idéologique de la droite dans laquelle celle-ci s'est immédiatement reconnue après douze années de chiraquisme.
LE "PEUPLE DE DROITE" GALVANISÉ
De ces trois conditions à la victoire, la troisième est peut-être la plus novatrice. Citant le philosophe marxiste italien Antonio Gramsci, M. Sarkozy avait affirmé, dans un entretien au Figaro, que l'hégémonie idéologique et culturelle précédait la victoire politique. Dès sa prise de fonctions à l'UMP, il s'est donc attaché à mener un combat pour les "valeurs", telles que "l'ordre", "l'autorité", "le mérite", "la récompense".
Dans le même temps, il a pris soin de déclarer à de multiples reprises qu'il "voulait rompre avec la pratique politique des vingt-cinq dernières années". Une autre fois, il a même ajouté "des trente dernières années". Cette référence temporelle lui a permis d'englober les deux mandats de Jacques Chirac, ceux de François Mitterrand, et même celui de Valéry Giscard d'Estaing, comme si, à ses yeux, la droite n'avait jamais vraiment été au pouvoir depuis la mort de Georges Pompidou.
Alerté par des dizaines de sondages du glissement à droite de la société, il a martelé le message, y ajoutant des thèmes tels que "l'identité nationale" liée à "l'immigration", la critique caricaturale de Mai 68, l'exaltation d'une histoire de France en partie débarrassée de ces zones d'ombre et le refus de la repentance. Décriés par la gauche qui l'accuse de courir après le Front national, ces axes de campagne lui permettent d'être au centre des débats et de lancer des appels à "la majorité silencieuse" pour le soutenir. Victime consentante, il engage ses partisans à s'opposer au "politiquement correct", à "la pensée unique". Lassé du magistère moral exercé par la gauche, "le peuple de droite" s'est senti galvanisé. En recommandant à ses partisans de "penser librement", le candidat de l'UMP a accéléré une forme de "coming out" de la droite. "La France exaspérée", dont M. Sarkozy s'est voulu le "porte-parole", est aussi une France exaspérée par la gauche.
Une fois établi ce corpus de valeurs que les candidats de la droite républicaine avaient jusqu'à présent laissé au Front national, M. Sarkozy a pu y greffer un programme économique libéral, fortement teinté de colbertisme. Simple habilité politique ou véritable duplicité ? Il a pu faire applaudir ses discours où se mêlaient défense de l'identité française, politique industrielle et relance du pouvoir d'achat par la baisse de la fiscalité des heures supplémentaires et la détaxation des successions par des gens trop modestes pour payer des impôts et pour pouvoir transmettre un patrimoine.
"Il ne faudra pas interpréter cette victoire dans un seul sens", recommandait, deux jours avant le scrutin, Henri Guaino, le principal inspirateur de cette campagne. Une manière de reconnaître que M. Sarkozy a ratissé large. C'est dire que cette victoire, massive par le nombre de voix qui se sont portées sur M. Sarkozy, comporte cependant quelques ambiguïtés.